mardi 1 septembre 2015

Le jour où j'ai dit non

Lundi matin. Un fort orage a éclaté cette nuit et m'a laissé un rien exsangue. Pourtant, c'est surtout l'agitation de mes rêves qui a plombé mon sommeil.

J'ai réfléchi à une liste de recettes viable pour la semaine, avant que l'on passe la commande. Je vais sans doute batailler, car il y a un certain investissement dans des produits ou matériel de base, inexistants dans la cuisine (des poches à douille, par exemple? Ah bah oui, par exemple).

Mais je suis assez contente. Allez, un peu de méthode Coué, ça va bien se passer, ça va bien se passer.

Je rentre dans la cuisine, accueillie par une odeur de rat mort. Une infection. Tiens, un bout de muffin au chocolat entamé sur le poste. Le bain-marie pas vidé, avec quelques boulettes d'œufs brouillés dedans. La serpillère dans son seau - et son eau stagnante.
 
Miam.

Je me lave les mains. Pas de papier absorbant, j'adore. Je prends un torchon, faute de mieux, que je mets de côté pour ne pas le mélanger avec les autres.

Je lance les viennoiseries, tentant de faire taire la voix rugissante en moi. Deux, trois formalités habituelles, je balance au passage le crumble du 23 août qui traîne encore là - au moins, il était daté, celui-là, contrairement à tous les autres desserts que je place dans la vitrine réfrigérée... Ah, sale, elle aussi.

Je sors la terrasse, dépitée, je tente de cacher mon désarroi au téléphone quand Albert II me sonne, je fais un rapide tour des frigos...

Et là, c'est le drame. Les portes, que j'avais quand même briquées vendredi soir, sont collantes, clairement pas nettoyées du service de la veille. Il reste des denrées non filmées, sèches (le Brie et le Saint-Nectaire de chez Promocash n'aiment pas l'air, si j'en crois leur couleur), voire périmées ou même grouillantes (miam bis).

Je fais le tri, je balance, ce qui m'oblige à m'approcher de la poubelle qui pue la mort. Je lance des paniers de plonge et je prie pour qu'aucun client ne se pointe. J'ai en moi les deux voix qui se parlent:

"Non, mais ça va aller, une fois que tu auras fini de nettoyer, tu vas préparer ta petite cuisine comme tu l'entends...

- Mais tu vois bien que ça ne marchera jamais, c'est juste pas possible.

- Allez, il faut tenir, tu ne vas pas partir, là...

- Eh, mais si je partais, là? Non? Noooooon?"

L'éclair. Partir. Fuir tant qu'il est encore temps.
 
Mais je ne peux pas faire ça, moi!

Et pourquoi pas, au fait?

J'ai continué à nettoyer. Au début, je me suis dit que je resterai jusqu'à midi, le temps que la manager arrive.

Je me suis dit aussi que j'étais folle de partir comme ça, quand même, ça ne se fait pas.

J'ai ouvert l'un des frigos, aux joints bouffés par la moisissure.

Partir comme ça? Si, si, ça se fait. Circonstances exceptionnelles, en l'occurrence.

Deux clients sont entrés. Ils voulaient deux cafés au lait, à emporter. Je ne savais même pas où se rangent les gobelets. La classe. Je leur ai proposé de repasser, ou de consommer sur place.

Deux femmes se sont installées à leur tour. "Faites, faites", ai-je pensé, "mais ce sera sans moi."

Ma décision était prise. J'ai laissé en plan le frigo immonde, en prenant quand même soin de ranger les denrées au frais. Je suis allée ranger mes couteaux, mes douilles et même les épices que j'avais rapportées de la maison (!). J'attendais Albert.

Albert II n'est pas arrivé à l'heure prévue. Deux, trois minutes de retard, peu, mais trop pour que je reste indulgente.

Je l'ai accueilli sur la terrasse, en lui serrant la main.

"Bonjour, dites-moi, je vais vous agacer, vous allez m'agacer, je n'ai rien signé, alors il vaut mieux qu'on en reste là. Je suis vraiment désolée que ça finisse ainsi mais je ne vois pas d'autre issue. "
 
Il m'a répondu très sèchement, mettant fin à tout échange.

Il y avait toujours les clientes, qui n'étaient pas encore servies, mais peu importe, au lieu de s'en occuper, il a fini la terrasse, s'entêtant à placer ses tables et chaises dehors alors même que la pluie menaçait.

Je suis allée me changer dans les toilettes (les seules, les mêmes que celles des clients, hein), j'ai pris mes sacs et je lui ai rendu ses clés. Il a maugréé. Je lui ai dit "Bonne journée", je crois.
 
Je suis sortie, hagarde. Quelques mètres plus loin, un jeune homme est venu à ma rencontre, en tenue de jogging. Il m'a expliqué être perdu et a commencé à me balancer des noms de rue pour que je l'aide à retrouver son adresse. J'ai fini par lui dire que là, c'était juste le brouillard dans ma tête. Il a dû penser que j'étais une junkie.
 
Finalement, j'ai repris mes esprits et trouvé sa route.
 
La mienne reste indéfinie, mais j'avance la tête haute.

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