lundi 31 août 2015

Le règne d'Albert II

Bon, après toutes ces premières péripéties et ces coups de chaud, Albert II a fini par sentir le malaise. J'ai grogné à chaque fois qu'il m'a demandé d'alléger mes préparations, en termes de temps.
 
C'est sûr qu'à force d'ouvrir des bocaux et des sacs, il a dû perdre depuis longtemps la notion de ce qui est nécessaire pour laver, rincer, éplucher, tailler, mitonner...
 
Ah oui, j'oubliais, il cuisine à la maison.
 
Le même qui m'avait vanté les bienfaits du « fait maison » et sa volonté farouche de ne servir que du frais se fournit en priorité chez Promocash, où il a obtenu 20 %, quand même. Argument imparable, surtout quand se cache un Picsou sous la couverture du pseudo-artisan.

Il a râlé à son tour quand il s'est rendu compte que je rajoutais de la crème à ses œufs brouillés, histoire de les rendre un peu plus moelleux. Le monsieur est sorti de ses gonds. « A 2,83 euros le litre, je ne veux pas en mettre, le lait, c'est 70 centimes, ça suffit bien ! »

Peu importe qu'une cliente, visiblement habituée, soit venue me dire que « les œufs étaient vraiment bons, ce matin. » Ce qui compte, c'est le fric, le reste on s'en fout. On se fout des clients et on ne respecte pas les serveuses. Albert II m'a quand même expliqué qu'il ne voulait plus venir servir le dimanche parce que, franchement, c'était trop pénible.
 
Il appelle ses serveuses le matin pour qu'elles décalent leur planning et travaillent l'après-midi. Demande à une autre si elle n'accepterait pas de réduire son contrat d'une semaine. Refuse de payer les heures sup, d'autant que faire 40 minutes de plus tous les jours, ce n'est pas, justement, faire des heures sup...

Ah oui, il les filme, aussi. Il y a une caméra dans le restaurant et il peut espionner tout son monde, depuis son autre restau... Evidemment, ce léger détail n'est en aucun cas indiqué sur le contrat, ni spécifié auprès de la clientèle, filmée à son insu.
 
Autant vous dire que la moutarde commençait sérieusement à me monter au nez. Jeudi matin, j'ai ouvert toute seule. A 8 heures 30, les premiers clients sont arrivés, ils voulaient des petits dej. Je me suis rendue compte que je bloquais complètement sur cette idée, que je ne m'y ferai pas, jamais, que j'étais venue, alléchée par l'idée de cuisiner des plats maison et que j'allais me retrouver piégée dans une boîte à fric, qui fait ses 300 brunchs le dimanche mais sans aucune âme.
 
Quand il m'a appelée, depuis son autre restau, pour savoir si tout allait bien, j'ai lâché :
 
« Je n'y arriverai pas ».
 
Et puis, j'ai posé le combiné téléphonique à côté de moi. La serveuse, qui venait d'arriver à ma rescousse et qui courait déjà partout, m'a rejointe dans la cuisine. On a parlé. Indignée par ce qu'elle venait de me raconter – il ne tarit pas d'éloges sur sa vivacité mais refuse, trois minutes plus tard, de lui payer ses heures sup, parce qu'elle « n'est pas assez rapide » (!!) - je commence à baver sur lui. Je menace de le planter. Je me lâche totalement, à bout et on parle, pendant 30 minutes, toujours affairées.
 
Là, la serveuse me dit que Albert II l'appelle sur son portable. Affolé, il lui annonce qu'il ferme son restau et qu'il débarque dans deux minutes. Je ne comprends pas, je regarde le combiné que j'avais posé... sans raccrocher.

Bien, bien, bien...
 
Je vous laisse deviner la discussion musclée qui s'en est suivie. Plus de cdi, ça, j'avais déjà décliné, mais plus de cdd non plus. En mon for intérieur, j'ai senti un vrai soulagement. Et puis, quand même, un léger tiraillement. Car le projet restait envisageable (bon, ok, à condition de changer quelques légers détails) et l'ambiance est bonne entre nous, les filles, celles qui bossent et qui font tourner la boutique.
 
J'ai besoin de travailler. J'ai besoin de sous. Dans six mois, je suis en fin de droits. Alors, j'ai accepté un CDD de 2 mois, en espérant que ce ne soit pas encore trop. A deux jours d'y retourner, je continuais de douter sur l'intérêt même de remettre les pieds en cuisine là-bas. En même temps, je me suis dit que ça me ferait de la matière pour coucher ça, ensuite, sur le papier et m'en servir de base pour mon métier d'après...
 
Bref, quand j'ai ouvert le restaurant lundi matin, j'étais bien déterminée, armée de ma liste de recettes pour la semaine...
 
A suivre...

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