mardi 30 juin 2015

Six mois, six mois! Et moi si...

Lundi matin, 9 heures. Je m'installe dans un grand amphi. Il fait à peu près 76° C, je sens que je vais bientôt coaguler.
 
Petit tour d'horizon. Nous sommes environ 130, à vue de nez. Tiens, au bureau devant, je reconnais le directeur de ma formation cuisine. Plus surprenant, à ma gauche, un type est en pull et bonnet. Alors que je nage déjà dans mon jus, cette vision me donne un petit coup de chaud supplémentaire. D'ailleurs, je constate que je suis au top de mon glamour : j'ai du cambouis sur le pied (merci mon vélo fuyeur) et tiens, un reste de purée de fruits rouges aussi.
 
Hum.
 
Grosse classe.
 
Je décroise mes jambes. D'façon, c'est très mauvais pour le dos, cette position.
 
Le responsable de la formation "métiers de bouche", pour laquelle j'ai été convoquée ce matin, prend le micro. "Vous devriez être 134... Comptez-vous!"
 
Je me dis que ça sert, d'avoir passé tant d'années dans les salles de basket. Une vraie pro de l'estimation! Oui, on est d'accord, c'est pas non plus d'une utilité fracassante. Mais on trouve des petites joies là où on peut, hein.
 
134, donc, pour... 12 places. La bonne blague. 4 candidats retenus par filière, boucherie, boulangerie, pâtisserie. 52 candidats rien qu'en pâtisserie. Et le directeur de ma formation de cuisine de lancer : "du coup, les bac +, non seulement, ne sont pas prioritaires, mais c'est aujourd'hui rédhibitoire."
 
Bruissements dans l'amphi et dans ma tête. Même le type stoïque en pull se gratte le bonnet. Qu'est-ce que je fais là, alors, si la formation m'est désormais fermée?
 
Je ne suis visiblement pas la seule à penser ainsi. De l'autre côté de l'amphi, un type se lève, réagit, déjà énervé.
 
"- Euh, pardon, mais vous dîtes que c'est rédhibitoire, si on est diplômé au delà du bac?
 
- Oui, répond le directeur, ça ne passera plus.
 
- Vous êtes en train de me dire "Dégage" alors que ça fait six mois que je me prépare?
 
- Non, non, enfin, euh, c'est pas ça, mais euh...
 
- C'est scandaleux! J'ai fait deux EMT, je vais en faire une troisième, ça fait six mois que je m'investis dans cette formation et vous me dîtes "Dégage"! Vous venez de niquer six mois de ma vie! Six mois!"
 
L'autre responsable, ancien journaliste (comme quoi, ça mène à tout), reprend les rênes et tente de gérer la situation de crise.
 
" Cette formation s'adresse avant tout aux personnes pas ou peu qualifiées. Des dérogations sont possibles (pour les gens un peu tarés comme moi qui veulent se reconvertir après une première vie, me dis-je), mais quand vous avez autant de candidats comme ici aujourd'hui, vous comprenez bien que les diplômés ne sont pas prioritaires."
 
Le type est en furie. Il crie "Six mois! Six mois" Six mois" jusqu'à me faire penser à Dustin Hoffman dans Rain Man, mais en plus méchant. Le directeur lui demande de partir, maintenant, parce que ça fait dix minutes qu'il monopolise les attentions et que, bon, on a tous autre chose à faire (prendre une douche, par exemple. Perso, j'ai coagulé depuis déjà trop longtemps).
 
Le type est devenu une bombe.
 
" Vous êtes en train de me dire que vous allez choisir des gens qui n'en auront peut-être rien à faire de suivre cette formation, juste parce qu'ils n'ont pas de boulot, alors que moi je me suis arraché depuis six mois et je n'y ai pas droit?"
 
La pilule commence à mal passer, aussi du côté de l'autre responsable, outré de ces propos. Il tente néanmoins de calmer le jeu, reprenant un air placide malgré la tension à 10 000 volts que chacun ressent.
 
Le type devient grossier et très agressif, ce qui tue un peu l'empathie que j'avais pour lui. Je pourrais continuer de compatir: après tout, je suis dans sa situation et une dizaine d'autres personnes, qui se sont également levées, connaissent le même sort. Sauf que son attitude est tout sauf respectueuse et qu'avant de tout miser sur un projet - au risque de jeter la pierre aux autres en cas d'échec - , peut-être aurait-il dû envisager un plan b.
 
Lui, de son côté, n'est plus que désespoir car, naïvement, il a cru le conseiller de Pôle Emploi qui lui avait assuré que c'était dans la poche alors que, au final, ce sont les élus du Conseil régional qui statuent sur les conditions d'admission à pareille formation. C'est moche, mais c'est ainsi.
 
J'imagine les politiques régionaux derrière leur bureau, en commission Formation et Emploi. Je les ai pratiqués, je sais qu'ils sont souvent plein de bonnes intentions, qu'ils ont plus ou moins conscience de la réalité du terrain. Mais là, à l'instant, j'aimerais qu'un d'entre eux soit dans l'amphi, pour constater les dégâts.
 
Au lieu de ça, le directeur et le responsable servent de punching ball à ce malheureux, qui finit par tourner les talons, en lâchant un "Bouffon" haineux. Dans son regard, je reconnais ce mélange d'impuissance, de colère, de rage et de défi qu'on ressent lorsque vous avez gravi dix cols et qu'au sommet, on vous dit que ben non, malgré tous vos efforts, ça va pas être possible.
 
D'autres personnes lui ont emboîté le pas. Certains quittent l'amphi en maugréant, générant encore un peu plus d'électricité dans l'air.

Je choisis de rester. Déjà parce que je voulais voir à quoi ressemblaient les tests de français et de maths qu'on nous avait promis. Ensuite parce qu'une petite voix m'incite à rester confiante, sachant que, on est d'accord, je ne joue pas toute ma vie sur cette admission.
 
J'ai donc lu un texte pour en expliquer en deux phrases le sens, avant de faire... des additions, multiplications et divisions (si si!). Il me restait ensuite l'entretien administratif avec le responsable des formations. Noyée dans la masse, je ne pensais pas qu'il me reconnaîtrait.
 
"Ah, te voilà! Je t'attendais." Et de farfouiller dans ses papiers. "Alors, où est ton dossier... depuis le temps que je te suis!"
 
Je suis une star, c'est officiel.
 
Bon,  je ne vais pas mentir, son accueil chaleureux et son discours m'ont rassurée et ont boosté ma confiance. Ma petite voix avait raison. Si je pouvais suivre la formation malgré les conditions drastiques? Ma place est au chaud, "et on demandera une dérogation" a-t-il précisé.
 
Bon, là, je lui ai rappelé que j'avais passé le CAP en candidat libre. Il m'a demandé comment ça s'était passé, j'ai eu une pensée dévastatrice pour mes tresses, et on a donc fixé au lendemain des résultats, le 7 juillet prochain, l'entretien de motivation, "puisque ça se trouve, tu n'auras pas besoin de la suivre, cette formation!"
 
Ça se trouve, oui.

dimanche 21 juin 2015

La trappe

Vendredi soir, minuit largement passé. Je me suis assoupie sur le canapé, littéralement épuisée et je me redresse avec la souplesse d'un éléphant ankylosé (vous voyez un peu le genre). Les yeux mi-clos, je monte l'escalier et passe aux toilettes (vous saurez tout) (oui, je vous vends du rêve) (bref).
 
Il a fait chaud, aujourd'hui. Lourd. C'est sans doute pour cela que je trouve étrange de sentir un filet d'air dans cet espace exigu. Je me résous à ouvrir un peu les yeux (en priant pour que le sommeil ne s'en aille pas...) et là, je vois la trappe au plafond entr'ouverte.
 
Euh, comment ça, la trappe est légèrement entr'ouverte?
 
Ce doit être mes yeux. Je les frotte, les écarquille. Pas de doute, le sommeil est parti et la trappe qui mène au grenier est ouverte.
 
Je sors. Pas de panique.
 
"Clark?
 
- Oui?
 
- A tout hasard, tu aurais ouvert la trappe des toilettes?
 
- Quelle trappe?"
 
OK, Clark n'a visiblement pas touché à la chose.
 
Loulou, peut-être? Avec son mètre 50 et son bras dans le plâtre (oui, le jeune homme s'est blessé le soir de mon examen, histoire de pimenter tout ça)? J'ai comme un doute, là.
 
"Clark?
 
- Oui?
 
- C'est bizarre, quand même, pourquoi la trappe elle est ouverte ? (il est minuit passé, je suis souple comme un éléphant ankylosé et j'ai les yeux mi-clos, je vous rappelle, alors la syntaxe, vous êtes gentils, mais y'a des moments où on fait ce qu'on peut)
 
- Tu veux que j'appelle les flics?" me demande Clark en prenant le combiné.
 
Il appelle.
 
" Bonjour, nous habitons quartier du Biiiip à Biiiip (je tiens à mon anonymat, ah ah ah), la trappe qui donne accès au grenier est ouverte.
 
 
- ..."
 
Voilà, voilà. Ça lui fait une belle jambe, aux gendarmes, qu'une trappe d'un grenier soit ouverte, visiblement. Il nous répond de rappeler demain.
 
Demain? Mais demain, le type qui est caché dedans, il nous aura trucidés depuis longtemps, enfin! Ah oui, parce que je vous ne l'ai pas dit, mais dans ma tête, ça y est, y'a forcément un type caché. D'ailleurs, avec Clark, on se souvient d'un détail troublant: l'après-midi, on a entendu un gros bruit, genre une porte qui claque violemment, alors que nous comations réfléchissions au soleil.
 
Forcément, le type avait dû rentrer alors et s'infiltrer dans le grenier.
 
Clark s'agite à son tour. Comme il est fort et courageux, il décide d'en avoir le cœur net. Il descend dans le garage chercher l'escabeau (hauteur 70 cm), le pose aux toilettes, me demande de le tenir et grimpe dessus, sa lampe de poche à la main. Il s'accroche à l'encadrement de la trappe... Le truc en plaquo, là.
 
L'escabeau bascule. Les pieds de Clark sont dans le vide. Boum. Je me prends un Clark sur les bras. Oui, Clark m'est tombé dessus, en donnant au passage un coup sur l'ampoule. Nous sommes dans le noir, des bouts de plâtre sur nous... Et le type, lui, doit bien se marrer au-dessus.
 
C'est ce qu'on appelle un moment de solitude, je crois. Avec Clark, on peut dire qu'on l'a vécu à deux, là.
 
On se ressaisit, allez, on arrête, y'a personne, oui mais quand même, c'est bizarre, cette trappe ouverte (vraiment ouverte, pour le coup, puisque tout a cédé sous le poids de Clark).
 
Clark ne se démonte pas, saisit le bureau de Loulou (heureusement absent ce soir) pour grimper dessus et aller voir ce qui se passe là-haut (et récupérer sa lampe de poche qui a disparu).
 
Je lui demande en chuchotant s'il veut que j'aille chercher quelque chose dans la cuisine, en mimant un couteau.
 
Je réalise que ça risque de mal finir, cette histoire. J'imagine déjà le sang jaillir du ventre du monsieur, là-haut, ce que je devrais dire aux flics pour pas que Clark finisse en prison, à moins qu'on cache le corps...
 
Clark monte sur le bureau.
 
Sans lampe, il ne voit rien.
 
Re-moment de solitude.
 
Tant pis. On décide de barrer le chemin du type. On ferme la porte des toilettes et on met devant le bureau de Loulou. Ah ah, il fera moins le malin quand il voudra sortir. Obligé de faire du bruit, on le topera à la sortie.
 
Nous sommes machiavéliques.
 
Je vais me coucher. J'entends Clark qui s'agite encore. Il met un tabouret en plus, devant le bureau, histoire de bien bloquer la porte.
 
Il descend. Revient avec les ordinateurs qu'il planque dans la commode.
 
On est enfin couchés tous les deux, les yeux vers le ciel. On cherche à se raisonner, l'un et l'autre. Mais quand même, c'est trop bizarre, cette trappe entr'ouverte.
 
Le sommeil met du temps à venir. Vraiment.
 
Je finis par sombrer.
 
"Wouwouwouwouwouwouwouwouwou!!!"
 
Mon dieu, il est là! 3 heures du matin... L'alarme incendie s'est déclenchée.
 
Je me lève. Je regarde le bureau. Rien n'a bougé. Je sens mon cœur prêt à sortir.
 
Je serre fort la main de Clark. Fausse alerte.
 
Je m'assoupis de nouveau. A quatre heures et demi, je bondis. J'ai entendu un bruit. Mon palpitant est à son maximum.
 
C'est Perle, notre chatte. Elle veut sortir.
 
Après, je ne sais plus, mais je suis repartie très loin.
 
Au réveil, Clark et moi, on se regarde. On se lève. Tout est calme. Rien n'a bougé. On hésite entre l'envie d'éclater de rire tellement tout ça est ridicule et ce malaise, parce que ça se trouve, le type croupit toujours en attendant qu'on s'en aille.
 
Au moment de partir au marché, je vais aux toilettes et je lance : "ça y est, Ducon, on s'en va, tu peux en profiter pour filer."
 
Je regarde là-haut, pas rassurée.
 
C'est étrange, quand même, cette trappe entr'ouverte, non?
 
 

mercredi 17 juin 2015

Repêchage

Devinez ce que j'avais dans ma boîte aux lettres hier matin?

Une lettre de la Chambre des Métiers et de l'Artisanat.

Celle-là même où j'ai déversé des litres de sueur et laissé tous mes atomes de stress se répandre, lundi dernier.

Soudain, j'ai envisagé un phénomène spatio-temporel qui m'aurait amenée directement au jour des résultats (ô, bonheur, de ne pas avoir à patienter trois semaines pour connaître le verdict), et puis j'ai ouvert. Et j'ai lu :
 
 
 

Alors, comment vous dire... Si, voilà trois mois, face à cette perspective, j'étais plus motivée encore que mon chat boulimique devant ses croquettes, là, j'ai moyennement envie d'en reprendre pour un an.
 
Peut-être le coup d'avoir vécu un marathon, certes exaltant, mais un rien éprouvant, me freine-t-il un peu, vous me direz.
 
L'envie de travailler pour de vrai aussi. Il faudra bien un jour se lancer, non?
 
...
 
En même temps, puisqu'ils écrivent "métiers de bouche", je pourrais toujours opter pour un CAP en boulangerie, hum?

mardi 16 juin 2015

Advienne que pourra

Lundi matin, 6h- Je n'en mène pas large. Une nuit très agitée malgré deux somnifères (!!), un torticolis survenu la veille au soir, autant vous dire qu'on a fait plus zen, en matière de candidat à un examen.
 
6h30- Pas moyen non plus d'avaler quoi que ce soit (c'est pas comme si je partais pour une journée marathon de 7 heures non plus, vous me direz)
 
6h45 - Je sors de la maison, des papillons plein le ventre. Je sens un fin crachin... Clark m'encourage une dernière fois. Allez, direction le CIFAM.
 
6h50 - Sur la route, je me pose quelques questions sur ma santé mentale. Qu'est-ce qui m'a pris de me lancer dans l'aventure?
 
6h51 - Ah oui, le goût du risque, sans doute, et puis une passion irraisonnée pour la pâtisserie. Allez, en avant.
 
6h52 - Je retrouve Sophie, autre candidate libre nantaise rencontrée à la faveur d'un groupe extra sur Facebook. Je la regarde, elle me regarde, on les regarde. Les? Oui, les petits jeunes qui attendent avec leur petite mallette devant le centre. Moyenne d'âge 17 ans. On essaie de sortir le plus discrètement notre attirail. Une grosse malle pour Sophie, une mallette, un sac hôtelier et un sac à dos pour moi. Léger, quoi.
 
7h - Fébriles, nous rentrons dans le bâtiment. Nous observons le labo, derrière les fenêtres, ce lieu que nous ne connaissons pas. Pas l'idéal pour bosser, mais enfin, ça fait longtemps qu'on s'est habitué à l'idée. C'est immense et ça semble bien équipé.
 
7h30 - Distribution des sujets. Charlotte cardinal, tarte chocolat-banane, 16 Paris-Brest, deux tresses et 8 brioches à tête. Ouf. J'aime bien faire ces quatre prépas, que je n'ai jamais loupées jusqu'à présent, et surtout, j'évite les religieuses, que je fais "caca".
 
8h02 - Je laisse échapper un "m..." parce que je viens de voir une boulette sur mon ordonnancement, ce document qu'on remplit pour décrire le déroulé de notre journée. "Vous n'avez rien à dire", ma lance sévèrement un juré.
 
8h03 - Ok, je me tais. Mais quand même, excusez la stupeur. En gros, j'aurais eu trois grosses prépas à lancer en même temps à 9h, si je n'avais pas vérifié. Je rature. De toute façon, il faut que je me fasse à l'idée que tout ne sera pas parfait.
 
8h10- Cette fois, comme dans Top Chef, nous sommes chacun derrière notre tour et c'est parti. Nous sommes quatre - deux garçons, deux filles - dans un vaste labo et chacun s'affaire. Je fais mes pesées pour ma brioche, et une fois la bête lancée dans le robot, je m'attelle à ma pâte sucrée. Deux jurés arrivent pour me poser des questions. Je suis agréablement surprise par la facilité de ce premier oral et je repars pleine de confiance. Pendant ce temps, ma brioche ne fait toujours pas "ploc-ploc", je laisse tourner... et je vois les minutes défiler.
 
8h45 - Dès lors, c'est une course contre le temps et contre moi-même que je lance. Le stress que je pensais voir partir au début de l'épreuve ne me lâche plus. Je sens l'adrénaline, certes, mais il me tétanise aussi par moment.
 
8h50- Un juré vient me voir et me demande où je travaille. Du coup, je lui explique rapidement le parcours un peu bizarre que je suis depuis quelques temps, entre cuisine et pâtisserie. Il m'interroge sur mes envies, après, on se rend compte qu'on a des projets en commun et je le sens limite prêt à m'offrir un café pour qu'on en cause quand je réagis. "Euh, ma farine, faudrait pas que je l'oublie!" "Ah oui, pardon, je vous laisse bosser".
 
9h30 - J'évite de regarder où en sont les autres candidats, d'autant que je n'ai pas choisi de démarrer comme eux. J'ai fait mon biscuit cuiller avant, la pâte à choux après. Du coup, je vois les Paris-Brest dressés sur leur grille alors que je n'ai pas démarré ma panade (oui, c'est la panade, justement, ah ah ah. Excusez-moi, je crois que j'avais coupé l'option humour à ce moment).
 
10h - Le jury revient pour une deuxième session de question, principalement sur l'hygiène et la sécurité. Pas de souci majeur, sincèrement, c'est facile. Ils repartent en souriant, je reprends mes activités l'âme plus légère.
 
10h30 - Du coup, je m'applique, je prends mon temps, je veux bien faire, sans panique.
 
11h - Résultat, je suis à la bourre sur toutes mes préparations, c'est une horreur. Je pense à ma Charlotte que je devrais monter mais il y a la brioche à façonner, et puis la crème anglaise à préparer avant d'en faire une bavaroise et puis, et puis, et puis... Je me raisonne en me disant que ça va aller, que je sais faire.
 
11h45 - Dans un quart d'heure, c'est la pause obligatoire et je n'ai pas façonné mes brioches. Le truc qui te prend une demi-heure si tu veux bien t'appliquer et faire de jolies boules, sans aspérités, et ben là, j'ai quinze minutes maxi pour le faire. Tout va bien.
 
11h57 - Les brioches à tête sont dans leur moule, il me reste deux tresses à faire en 3 minutes. Tout va bien.
 
12h - Je suis rouge pivoine. Jamais fait des brioches aussi laides. Mon entremets n'est pas monté. J'ai honte et je me sens mal.
 
12h02 - Nous sommes dans les vestiaires avec Sophie. Impossible de manger ma salade, j'ai toujours le nœud dans le ventre. Nous essayons de nous rassurer l'une et l'autre.
 
12h 45 - C'est reparti. Et là, je me mets en mode automatique pour rattraper tout mon retard. Je suis la dernière à lancer mes brioches mais laides ou pas, je les sortirai. J'ai un compte à rebours dans ma tête et j'enchaîne les actions, je me sens survoltée et calme à la fois.
 
13h15 - Un juré passe et me félicite pour mon fonds de tarte, effectivement réussi. "Oui, mais il s'est cassé, là". Et je lui montre le bout de pâte qui s'est fait la malle. Comment s'auto-flageller, première leçon... "Bah, vous ferez comme en boutique, vous le présentez de l'autre côté!" me conseille-t-il gentiment. La vie est belle.
 
13h30- J'ai rippé sur un Paris-Brest, qui se retrouve amputé d'une moitié. Hum.
 
13h45 - "Il vous reste une heure et demie!" Je suis épatée, j'ai quasiment fini. Enfin, enfin, le stress me lâche et je m'occupe sereinement de ma déco. Je rattrape ma ganache, qui a un peu épaissi, je fais cuire des sablés en forme d'étoiles avec mon reste de pâte sucrée, je me lance dans l'art naïf avec mes biscuits cuiller en forme de bateau (le thème demandé était "La route du rhum"), j'écris au cornet en m'appliquant, sans boulette.
 
14h 30 - Il faut que j'apporte mes brioches dans une salle plus loin. Enfin, brioches, c'est beaucoup dire. Mes tresses sont aussi longues qu'une journée d'examen foiré et font peine à voir. J'ai vraiment honte.
 
15h15- Fin des épreuves. Nous avons placé toutes nos préparations sur des nappes en papier. Je regarde le tout et je sens la déception, soudain. Au delà de l'énergie que j'ai ressentie, des efforts fournis, je me sens très mitigée. Je ne sais plus trop quoi penser. J'essaie de rassurer Sophie, qui a, elle, sorti de jolies brioches, entre autres. Et puis de jolis Paris-Brest aussi... Et puis... Ne pas chercher à comparer. J'ai du mal à me rassurer.

16h15 - Après le nettoyage complet du labo, nous nous retrouvons avec les autres candidates dans le vestiaire, nous débriefons. Je réalise qu'elles préparaient cet examen depuis 2 ans. Je me souviens de ce que j'ai vu dans la salle et je me dis qu'après tout, Sophie et moi n'avons pas à rougir de nos productions.
 
17 h - Sophie et moi, on se quitte sur le parking, après avoir longuement discuté de tout ce que nous avions vécu, pendant l'épreuve mais surtout depuis le début de nos entraînements. Je suis fière de nous. Advienne que pourra, mais au moins, on l'aura fait!
 

dimanche 14 juin 2015

Le Jour J

Lundi matin, RDV 7 h pour passer la pratique du CAP Pâtisserie...
Comment ça, j'amène ma maison? Pensez donc...
 
 
Des stères de paquets de sucre, des chariots de farine, des cartons d'œufs, des dizaines de litres de lait et de crème, de la pistole de chocolat - noir, lait, blanc - de la poudre d'amandes et de noisettes à foison...
 
Des quantités inconcevables de pâtes, de biscuits, de crèmes, un robot décédé, des spatules, fouets, thermomètres et autres ustensiles chaque jour plus nombreux, un renoncement provisoire et volontaire à la pesée hebdomadaire (pas la peine de se faire plus de mal qu'il n'en faut, hein), un frigo tellement blindé de sucreries que les menus de la semaine ont été souvent sacrifiés, se réduisant à peau de chagrin...
 
A la maison, il y aura un avant et un après CAP Pâtisserie. Depuis trois mois, nous vivons tous au rythme de cet examen, sachant que Clark et Loulou se sont rarement plaint d'un trop-plein de viennoiseries le matin... Mais ont frôlé l'overdose de sucre, je crois, lorsque les entremets se sont multipliés.
 
Trois mois à ce rythme, c'est à la fois long et très court, quand je pense à tous les candidats, libres ou en formation (initiale ou adulte) qui consacrent entre 9 mois et 2 ans à apprendre le BA-ba de la pâtisserie. Lorsque j'ai démarré en mars, je restais très perplexe sur mes chances d'obtenir le diplôme en m'entraînant si peu.
 
Après des journées entières passées dans ma cuisine, 5 à 6 jours sur 7, j'ai la prétention... d'être confiante. Je sais que rien n'est absolument joué, et j'ai forcément des lacunes. Mais j'y vais avec envie et détermination et j'ai l'idée de bien m'amuser, au delà du stress que je vais forcément sentir monter en flèche lundi matin.
 
Car oui, cette fois, j'y suis. Lundi 15 juin, c'est une sacrée date pour moi, celle où je vais au bout de mes élucubrations. J'ai préparé ma mallette, mais surtout ma tête. J'entends bien surmonter mes doutes et mon appréhension, pour décrocher ce titre, aussi fou et présomptueux que cela puisse paraître.
 
Réussite ou catastrophe, je n'aurai pas de regret lundi soir.

Et puis, au pire, j'aurais au moins un truc à vous raconter, hein...

vendredi 12 juin 2015

Où je cherche mes neurones, quand même...

"Citer quatre domaines d'influence créatives."
 
Euh, je croyais que je passais le CAP, pas une thèse. On m'aurait menti?
 
...
 
Voilà, les écrits sont terminés et, globalement, ça s'est plutôt très bien passé. C'est juste que tomber sur cette question pour l'entrée en matière, sachant qu'on venait de vous poser comme problème la réalisation de pains au lait originaux, comment dire...
 
C'est un rien déroutant.
 
Contrairement à ce que je pensais, il n'y avait pas de gamins de 17 ans dans la salle, juste des adultes sans doute en reconversion, majoritairement des femmes. 23 contre 5 hommes.
 
Oui, hier, j'ai eu le temps de compter, vu que le premier examen, qui dure 1 heure, se fait tranquillement en moitié moins de temps et que, ensuite, on s'occupe comme on peut.
 
Ce matin, néanmoins, j'ai moins fait la maligne en lisant cette question, à laquelle j'ai répondu complètement à côté de la plaque. Le plus drôle, c'était de nous entendre, à la sortie, confronter nos réponses, comme des collégiens...
 
Cela m'aura en tout cas permis de mettre un visage, enfin, sur des personnes jusque-là virtuelles, rencontrées sur Facebook à la faveur de groupes dédiés à la pâtisserie. Nous étions toutes les cinq à débriefer, et nous avons pu déjeuner ensemble, ensuite, pour prolonger cette drôle d'aventure et faire connaissance pour de vrai.
 
Rien que pour ça, ça valait le coup de s'arracher un peu les cheveux. Même si je me suis demandé, quand même, si je n'avais décidément pas égaré quelques neurones à rester ainsi scotchée devant ma feuille sans pouvoir répondre à cette foutue question...

jeudi 11 juin 2015

Où j'en veux à mes neurones

Je ne pense pas qu'il s'agisse vraiment de coquetterie. Simplement, je ne me vois pas vieillir. On me dit souvent, d'ailleurs, que je ne fais pas mon (grand) âge; qu'on m'aurait donné 30, 32 voire, allez, 35.
 
Pensez bien que je rigole sous cape. Ah, s'ils savaient! (bon, je pense que certains ne sont pas dupes, ils ont juste pitié et pensent me faire plaisir en me rajeunissant) (grand bien leur fasse, ça me fait plaisir) (autant être clair) (bref).
 
Bon, ok, après tout, je n'ai "que" 40 ans. C'est juste que je n'arrive pas à m'identifier avec nombre de quadragénaires que je croise, ces hommes sérieux en costard, ces femmes fardées comme si le ciel pleuvait de la poudre en rafale, ces traînées d'effluves prononcées, ce côté assuré, affirmé, aussi.
 
Moi, j'ai encore souvent l'impression d'être une petite chose, un être qui, un jour, sera grand. Mais qui, en attendant, continue l'apprentissage et reste dans sa cour d'école à regarder, les yeux en l'air, ces adultes s'agiter.
 
Pourtant, j'ai bien compris que ce syndrome de Peter Pan, que je reprends parfois légèrement à ma sauce, ne tient pas une seconde dès lors qu'il s'agit de solliciter certains détails de mon propre corps. Mes jambes, par exemple.
 
Parfois, lorsque je joue au basket (j'ai enfin repris, 4 ans sans ma drogue, je comprends mieux mon état léthargique de ces dernières années!), je vois la balle rebondir, aller vers les lignes de touche et j'y vais, pensant naïvement pouvoir la récupérer.
 
Ah, ah. Ma tête veut. Mes jambes en sont juste incapables. Je me retrouve comme bloquée dans les starting-block, prêtes à partir en fusée mais sans plus de jus.
 
C'est moche, oui.
 
La balle sort et j'ai l'impression d'avoir été bouffée par un amas de cellules toutes molles.
 
Eh ben, pour le cerveau, c'est pareil. Enfin, un peu. Je n'ai pas la mémoire d'une poule, heureusement. Mais quand il s'agit d'imprimer, d'apprendre par cœur, ouh la la, je vous dis pas, c'est juste mission impossible. Depuis trois mois, mes deux livres de chevet sont ces œuvres hautement littéraires, là:
 
Un soir, une nuit, je m'endormirai sans eux. Dès lundi soir, en fait. Eh eh eh.
 
 
Tous les soirs, je revois le rôle du sel en pâtisserie, la définition du taux de cendre et du bloom, le schéma du système de froid, celui de l'œuf et du grain de blé... Eh bien, rien à faire, je suis incapable de réciter.
 
Vous avez raison, ça ne sert à rien? Sauf que dans moins de quatre heures, je serai devant mon pupitre, comme tous les autres candidats au CAP (toutes spécialités confondues, ai-je cru comprendre) à bachoter sur la prévention, santé et environnement. Et rebelote demain.
 
Bon, le truc, c'est que certaines questions sont tellement simples qu'un esprit de 40 ans comme le mien a tendance à chercher la mobylette (comprenez la petite bête, le piège. Un jour, je vous expliquerai le coup de la mobylette). Du genre: "d'où vient le lait?"
 
Euh, elle est où, la caméra cachée?
 
Ou bien: "donnez la signification de la TVA".
 
Ah ouais, quand même.
 
Je vous rassure, vu la complexité annoncée de l'examen, je ne suis pas hautement stressée par ces écrits. Je me dis juste que la gamine de 17 ans qui sera à côté pourra sans doute, si elle a été studieuse, aller piocher dans le tiroir "par cœur" qu'elle sortira illico lorsqu'il s'agira de dessiner une plaque à induction ou reconstituer les éléments du micro-ondes. Tandis que je serai là à chercher, au tréfonds de ma mémoire, cachées sous des piles d'autres souvenirs sans doute plus marquants, les solutions à des questions toutes simples.
 
Je ne me vois pas vieillir mais mes neurones, elles, ont parfaitement su remettre les points sur les i.
 
Les garces.

jeudi 4 juin 2015

L'usine à gaz

Je remonte dans ma chambre d'hôtel. Je ne suis pas tranquille. Je veux quitter New York, vite, je n'ai jamais eu autant envie de partir.
 
Je suis en danger.
 
Je jette mes affaires en tas dans mon sac, tant pis, pas le temps de tout plier. Il y a un type, dans ma chambre, il répare le téléphone. Je n'aime pas son regard lourd, sa présence même.
 
Quand vais-je enfin être rassurée? J'entends un bruit de scooter. Un type, habillé comme le réparateur du téléphone, arrive sur sa bruyante machine par le... balcon. L'autre se lève, ils m'encadrent. Ils sortent chacun une sorte de petite lame de rasoir et la brandissent devant moi.
 
Déterminés et menaçants, ils m'ordonnent d'ouvrir la bouche et de mettre mes mains dedans.
 
"Je ne dirai rien, je vous assure, je voulais juste gagner un peu d'argent. Personne ne saura!"
 
Impitoyables, ils répètent leurs consignes.
 
Je savais que cette mission était dangereuse. Je l'ai acceptée parce que je n'avais pas d'autre choix, tout simplement. Là, je ne veux pas mourir. Eux m'obligent pourtant à creuser ma propre tombe. J'ouvre la bouche. "Tes mains dans la bouche!" Ils rapprochent un peu leur lame et je sens le gaz arriver vers moi. Ma bouche prend feu. Je vais mourir.
 
Je ne suis pas morte. Je ne comprends pas.
 
...
 
C'est une usine à gaz, ma vie, en ce moment, ou bien?

En tout cas, mes nuits sont peuplées de cauchemar et j'aimerais bien rentrer à ma maison. Une maison paisible, calme, qui respire, où l'on prend le temps de faire les choses et d'écouter les autres.

Quoi? Je rêve? Ah oui, peut-être.

Et vous savez quoi? Je continuerai de rêver, malgré tout.

mardi 2 juin 2015

Coup de sang

15 heures. Je suis en pleine révision et je commence à distinguer le mésocarpe de l'endocarpe (cherchez pas, c'est dans le grain de blé) lorsque mon téléphone sonne. C'est Loulou. Il exagère, il a encore dû louper son bus et veut que je vienne le chercher, j'imagine.
 
J'imagine mal.
 
"Allô, bonjour, vous êtes bien la maman de Cassandre?" me demande une jeune voix. "Vous pouvez venir, machin l'a étranglé."
 
On dit toujours qu'au crépuscule de sa vie, on voit défiler les images de son existence en accéléré. Eh bien, c'est un peu la sensation que j'ai eue, alors, associée à une violente montée sanguine.
 
Après, ça a été un peu le brouillard, jusqu'à arriver près du collège et apercevoir Loulou, pas en forme, mais debout. Le temps de croiser l'agresseur, aussi, qui a aussitôt pris ses jambes à son cou. Je vois pas comment il aurait pu s'acheter du courage en quelques minutes, en même temps.
 
Car figurez-vous que ce jeune être de 12 ans a attrapé mon fils par derrière et l'a étranglé avec son bras, "en serrant bien fort" a précisé Loulou. Le même sale gosse qui avait déjà demandé, voilà dix jours, à un camarade de mettre Loulou à terre, histoire d'être bien à l'aise pour le cogner à la tête.
 
Les sanctions? Quelles sanctions? Pour ce qu'il a appelé "un incident", le collège a donné des heures de colle au gamin, quelle fermeté, dites-moi! Pas de quoi décourager la bête, qui a donc récidivé.
 
...
 
Loulou était debout, disais-je, sonné. Et là, dans la rue, tous les élèves de sa classe m'ont entourée, y allant chacun de leur anecdote sur les méfaits de l'agresseur, qui a visiblement pris Loulou pour sa tête de turc. Ou comment découvrir que votre enfant couvre son bourreau, par peur des représailles. Comment expliquer, aussi, certains comportements, certains silences, certaines attitudes étranges depuis quelques mois.
 
Ce gamin harcèle mon fils depuis décembre. Il l'a déjà poussé dans la rue au moment où le bus arrivait. Il l'insulte, le pousse dans les casiers du collège, dit en rigolant que "c'est grave d'insulter le proviseur, mais pas grave de tuer un enfant". (euh, au hasard, si on prenait Cassandre? Un enfant qui refuse de se battre?)
 
Un psychopathe en puissance? En tout cas, après avoir entendu tous ces témoignages et ces soutiens pour Loulou, c'est bien une victime que j'ai invitée à monter dans la voiture.
 
Première étape, le collège. Ou comment s'entendre dire que, vous comprenez, on ne peut pas exclure un gamin comme ça, on aurait les parents d'élève sur le dos. Ben oui, ils n'étaient pas dans l'enceinte de l'établissement.
 
C'est pas comme si c'était en sortant des cours et qu'un élève avait tenté d'étrangler mon fils. J'exagère, aussi.
 
Deuxième étape, la gendarmerie, avec cette impression de devoir se transformer en vendeur de tapis pour convaincre l'officier du bien fondé d'une plainte, avant de voir se dernier arrondir les yeux un peu plus à chaque révélation.
 
Tiens, on n'en avait jamais rempli, des formulaires comme ça.
 
Troisième étape, le médecin, pour "valider" la dite plainte.
 
Ce que je n'avais pas prévu, c'est l'arrivée du père de l'agresseur, venu frapper brutalement à ma porte. Dès que j'ai ouvert, j'ai compris que tout dialogue avec un tel énergumène était aussi impossible que l'éventualité d'une réconciliation prochaine entre Israël ou la Palestine. Un type capable d'expliquer que c'est à l'éducation nationale de régler le problème, "parce qu'elle est là pour éduquer, eh" (je vous passe le ton, imaginez un peu le tableau d'un bas du front), comment dire... J'ai perdu mes moyens et failli sacrifier mes cordes vocales.
 
Voilà, il est presque 23 heures et je sens des remontées acides, de grosses tensions dorsales, une boule dans le ventre. Loulou, lui, tente de trouver le sommeil, là-haut.

Je me demande comment il peut s'endormir.

Je ne devrais sans doute pas m'en soucier, mais je me demande à quoi pense ce gamin haut comme trois pommes qui s'en est ainsi pris à Loulou.
 
Je me demande comment on peut, comme ce père, défendre son fils comme il l'a fait, en justifiant une telle violence comme si c'était la seule réponse à apporter quand on n'est pas d'accord.
 
Je me demande comment on peut vivre les événements quand, à même pas 12 ans, on se retrouve dans le bureau d'un gendarme, comme si la vie de simple collégien avait basculé dans un monde qu'on n'aurait jamais dû connaître.
 
Je me demande comment j'en suis arrivée à porter plainte contre un môme de 12 ans.
 
Je me demande pourquoi on laisse faire.

lundi 1 juin 2015

L'histoire de la fille qui mettait les pannes, le gluten et les kilos dans le même ballon rouge

Il y a quelques années de cela, alors que j'avais marqué péniblement le deuil de ma p'tite Dînette et que Loulou présentait quelques symptômes d'un mal-être inquiétant, j'étais allée voir une dame, sorte de docteur de la tête, version soft (comprenez une psychologue).
 
Elle m'avait donné un truc magique, comme aux enfants: vous avez des problèmes? Réunissez-les tous dans un ballon, vous gonflez, vous gonflez, vous fermez et hop, vous le lâchez. Vous le regardez s'envoler, loin là haut, et tous vos soucis avec.
 
Très infantile, mais très efficace sur moi (je pense que j'ai parfois 3, 4 ans d'âge mental, c'est pour ça, je crois).
 
Ce ballon, je l'ai toujours vu rouge, allez savoir pourquoi. Rouge comme la colère que son contenu provoquait chez moi, j'imagine ; rouge, parce que bien voyant...
 
Depuis lors, j'adore souffler dedans. Je m'en donne même à cœur joie et je suis proche du prosélytisme dès qu'un proche se montre un rien angoissé. Tu vas mal? Allez, je te jure, souffle dans le ballon!
 
Un jour, quelqu'un qui prendra la conversation en cours de route m'appellera "la folle de l'éthylotest" et je ne l'aurai pas volé.

Mais je m'égare.
 
Tant bien que mal, j'avais déjà tenté de fourrer dans mon ballon les dix mille vicissitudes qui polluent mon existence. Ça ne rentrait pas. Trop de malheurs, j'imagine (appelez-moi Sophie. Ou Caliméro).
 
Pensez donc: j'étais inquiète pour Tancrède. La cafelière, oui oui, ma cafelière préférée, m'a un peu sauvé la vie (rien de moins) en me confiant son robot, Tancrède, donc, qui avait déjà connu son heure de gloire.
 
Or, je crois que j'ai un mauvais fluide. Après Bobo qui est parti en carafe,  c'est mon antique robot à tout faire qui m'a lâchée le soir même. Et Tancrède, dès notre première collaboration, s'est éteint tout seul. Il était chaud-bouillant, le pauvre, il n'avait visiblement pas aimé la meringue italienne, lui non plus.
 
Forcément, je commençais à stresser pour de bon, à deux semaines de l'examen et encore dix milliards de choses à tester (enfin, à peine).
 
Ma copine Louloutte venait à mon secours avec son robot de compet... néanmoins amputé de son crochet. Damned, pas de pétrissage avec ce pourtant bel artisan...
 
Je démarre une nouvelle collec'... A qui le prochain?
 
Pas découragée, et un rien naïve, je revenais le soir au chevet de Tancrède. Il n'avait plus de fièvre, le pauvre. Alors, je suis arrivée doucement devant lui, et je lui donné de la farine, de l'eau, du lait et tutti quanti pour qu'il me pétrisse tout ça.
 
Docile, il a obéi. Et tac, d'un coup, il a recommencé. Arrêt brutal et fièvre démesurée. Autant vous dire que j'ai fini la pâte à la main et ça tombait bien, j'avais sérieusement besoin de me défouler.
 
Ce matin, j'ai eu un haut le cœur devant les pains au lait, finalement lassée de tant de sucre et de farine. Le gluten a eu ma peau, les amis. Alors, je me suis mise à mes révisions mais je sentais bien que le cœur n'y était pas. Je suis allée façonner mes pains au chocolat et là, devant mon propre spectacle, j'ai réagi.
 
Je ne pouvais plus me contenter de regarder mon ballon prendre son envol. C'était vain et il me fallait un autre échappatoire.
 
Il était temps de réagir.
 
J'ai ôté mon pyjama fariné (oui, honte sur moi), j'ai remis à plus tard la comparaison des avantages et inconvénients du marbre, des ovoproduits et de la table à induction en pâtisserie et je suis allée chausser mes runnings.
 
Ma lassitude, ma cellulite, mon gluten, mes brûlures et moi, nous sommes donc allés souffler un gros coup dans le ballon, en maudissant toutes ces foutues pannes mécaniques qui sabotent vos plans.

J'ai couru, couru, couru, jusqu'à me faire des ampoules (bon, si j'avais pris des chaussettes normales, aussi, j'aurais pu éviter ça. Trop facile).
 
Et vous savez quoi? Ça a marché. Plus d'une heure et demie sous le cagnard (personne ne m'avait prévenue, mais il fait chaud, en fait, dehors), à laisser mes interrogations se cogner les unes aux autres, avant de les laisser, enfin, aller rejoindre le gros ballon...

J'ai même repris mon schéma du germe de blé en rentrant, c'est dire.
 
Si, si, on doit connaître la constitution d'un germe de blé, pour passer le CAP pâtisserie. Et puis celle de l'œuf, aussi.
 
Heureusement qu'on ne nous demande pas de dessiner ce qu'on a dans notre propre caboche. Je ne suis pas sûre que le jury apprécierait un tel fouillis.