dimanche 27 juillet 2014

Reset

Depuis mon dernier post voilà deux semaines, j'en ai eu, des occasions de revenir ici vous raconter ce quotidien qui n'en est pas un, ces joies, ces doutes, cette vie et cette excitation qui émaillent ce mois de juillet.
 
Il y a eu cette fois où, avec Bidou et Rebou, mes deux jeunes acolytes, 38 ans à eux deux (ça fait mal aux dents), nous avons pris la route pour la plage à l'issue du service, sorte de parenthèse iodée entre deux journées chaudes en cuisine.
 
J'ai connu des soirées plus difficiles...
 
Il y a eu ces fois où j'ai pris spontanément le poste "dessert", libérant peu à peu l'espace pour devenir moins bordélique, afin de disposer quartiers de fruits, meringues, quenelle de glace et saupoudrer de crumble nantais ces assiettes colorées.
 
C'est du fruit, alors, c'est permis, non?
 
Il y a eu cette fois où je suis passée au chaud, dressant entrée et plat chaud, donc, mesurant le degré un rien sportif de la chose, parce que le principe du chaud, bah, c'est que ça refroidit (c'te blague) et que le client, il n'aime que moyennement, semble-t-il.
 
Servez-en quarante assiettes et vous comprendrez cette combinaison "plat chaud-neurones et rotules en chauffe".
 
Il y a eu cette fois où je suis partie avec le chef au MIN, observant ces petits gestes, ces négociations, ces réflexions qui permettent au restau d'être viable, économiquement parlant.
 
Il y a ces fois où le chef m'a autorisée à sortir, pour tailler le bout de gras avec des amis venus goûter la cuisine, sortant visiblement ravis. Des présences touchantes pour moi.
 
Il y a eu cette fois où j'ai dépiauté du calamar, cette autre où le lapin faisait moins le malin devant mon couperet (note à moi-même : penser à quelqu'un qui nous agace vraiment, au moment de baisser le couteau sur la chair. C'est très, très efficace). Cette autre, encore, où j'ai massacré la chair des maquereaux en enlevant leurs arêtes.
 
Avant d'en arriver là, on a le temps de tâcher dix fois sa belle veste blanche, parce que ces saletés de seiche, elles lâchent leur encre quand on les titille...
 
 
Il y a eu cette fois où Bidou, lui-même déguisé en kamikaze japonais pour éponger la sueur de son front, a décidé qu'aujourd'hui, c'était mon bizutage, où je suis ressortie du service les yeux rougis par le vinaigre blanc et le front bleui par la planche à découper qu'il m'avait délicatement balancée.
 
Il y a eu ces fois où nous nous sommes assis sur les marches, sur le côté du restaurant, pour savourer quelques minutes de pause. Où, entre gentilles moqueries et gros scuds, j'ai senti l'affection qui pouvait naître entre des personnes si différentes (on ne parlera même pas du choc des générations, hein), mais qui vivent la même exaltation quotidienne.
 
Il y a eu cette fois où on a voulu fêter l'anniversaire du chef, après le service du soir. Ou comment tenter de confectionner une tarte au citron meringuée en toute discrétion. Une gageure, quand on sait que le chef a l'œil sur tout, demande quelle est cette pâte qui traîne dans le frigo, regarde d'un air suspicieux une poche remplie de meringue italienne et s'amuse à ouvrir le four, malgré nos efforts pour qu'il en reste éloigné.
 
Il aura fallu à peu près la journée pour, peu à peu, parvenir à la confectionner et la dresser discrètement...
 
 
Il y a eu ces taillages, ces mixages, ces cuissons, ces habillages de poisson, ces glaces à préparer, ces décaissages de marchandises, toujours fraîches et qui ne demandent qu'à le rester. Cette satisfaction de bosser dans un restau qui n'a pas cédé aux sirènes industrielles.
 
Il y a eu ces fou-rires, et la consternation de Bidou, effaré qu'on puisse glousser comme je le fais.
 
Il y a eu ces orgasmes culinaires, tels que les nomme de façon gourmande le chef, au moment de goûter un jus de langoustines, un gaspacho à la crème de mozzarella ou des maquereaux marinés, de la thonine cuite juste à la perfection...
 
Jus de langoustine, langoustines marinées à l'huile de noisette, maquereaux marinés, petites framboises qui vont bien... Ceci est un orgasme culinaire.
 
 
Il y eu cette virée en vélo depuis Pornic, l'occasion de me cramponner comme jamais à mon guidon, le temps de passer le pont (venteux, doux euphémisme, hum) de Saint-Nazaire et d'en rire, mais après coup, hein, avec ma comparse.
 
Vive le train pour se ménager un peu...
 
 
Il y a eu cette escapade à Noirmoutier, ce sentiment de liberté sur le vélo vintage que j'avais enfourché, ce drôle de spectacle céleste, aussi, avec cette impression inédite de voir deux soleils.
 
Vélo sans vitesse, même pas peur.

A gauche, le soleil. A droite, un mini arc-en-ciel. On est d'accord, la photo ne reflète pas la magnificence du spectacle. Mais waouh.

 
Il y a eu cette autre vision étonnante, celle de ce scorpion égaré sur le mur du restaurant, en plein centre nantais.
 
Ben alors, on s'est perdu, petit scorpion? Faut pas rester là, c'est dangereux, une chaussure de sécurité est vite arrivée sur le museau...
 
Il y a eu ces retours en vélo, souvent souriants, empreints de légèreté et d'enthousiasme. Parfois, aussi, marqués par la fatigue, la solitude, et l'angoisse de rentrer dans une maison vide.
 
Il y a eu toutes ces fois où je suis juste rentrée à la maison pour me poser sur le canapé, mettre l'alarme en route, fermer les yeux et me réveiller juste pour repartir, pour le service du soir, parfois un peu nauséeuse, souvent joyeuse, malgré tout.
 
Il y a eu ces fois où j'ai senti le bouillonnement interne, quand il y a tout à penser au moment du service, avant d'oublier le reste, se concentrer et réaliser que la magie opère toujours.
 
Et puis, il y a eu cette fois où les grosses larmes n'ont pu être contenues davantage. La fatigue, la déception d'avoir raté des macarons, le doute, une réflexion un peu moqueuse et paf, comme aurait le dit le chef en imitant Laspalès, la mouette, du haut de ses 39 ans, elle a craqué, comme une petite fille.
 
Dressage non achevé de ces saletés de macarons...
 
 
Vendredi soir, au moment de coller mes macarons moches à la crème au citron, j'ai senti l'émotion me submerger et il était inutile de chercher à masquer la chose. Je ne suis pas une machine, juste une humaine. Et quand mes doutes se télescopent avec une critique - certes constructive et tout à fait légitime, mais tout de même cassante - j'ai envie d'aller directement me cacher dans une grotte.
 
On est d'accord, à part l'intérêt immédiat de se rafraîchir les idées et les jambes, vivre dans une grotte n'est pas un concept pérenne, quand on n'a pas décidé de faire ermite.
 
Alors, j'ai écouté le chef. Il m'a demandé de faire "reset."
 
Reset sur la dacquoise foirée, la tarte sablée trop cuite, les macarons dont la collerette n'a pas montré son nez, cette garce.
 
Reset sur les erreurs de débutante. Je suis une débutante, après tout.
 
Reset sur ce sentiment d'imposture. Reset sur cette impression de ne pas être à ma place, de ne pas être à la hauteur.
 
Reset sur ce p... de manque de confiance en soi.
 
Alors, je le sais, ce n'est pas juste en appuyant sur ce bouton que je vais me transformer en supercookinggirl. J'ai une vague idée du parcours tortueux qui m'attend, avec son lot de larmes, de doutes, de difficultés, d'épreuves.
 
Mais j'ai aussi conscience de mon enthousiasme intact pour la cuisine, pour cette aventure, de la passion qui m'anime et des mini-progrès qui, chaque jour, me font tenir.
 
Et puis, ce ne serait pas drôle, si c'était trop facile, hum?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire