mardi 12 octobre 2010

Ma voisine

Dimanche soir, lassée de rester chez moi, je me suis octroyé une petite pause: c'est décidé, j'allais...

... sortir les poubelles.

Oui, oui, ma sortie dominicale consistait à sortir les poubelles (lourdes, évidemment).

Le premier qui parle de vie pathétique sort.

Donc, je suis sortie, sans même prendre le temps d'enfiler une serpillère, pensez donc, la poubelle est juste en bas de l'immeuble, pas besoin de prendre ma petite laine à la Thérèse.

Ma sortie a duré environ 32 secondes et, allez, 16 centièmes, je dirai. Pas de quoi bouleverser ma p'tite vie.

Eh bien si, figurez-vous. D'ailleurs, je rigole, mais je vous assure que ça n'a rien d'une histoire drôle.

Non, je n'ai pas rencontré l'amour, comme ça, au détour du hall glauque que j'ai la chance de traverser chaque jour (ou presque, donc). D'ailleurs, si vous êtes mignons, je vous raconterai peut-être un jour la proposition immobilière d'un voisin. Plus tard.

En fait, j'ai juste ouvert la porte d'entrée pour une voisine et ses deux petites filles, dont l'une, profondément assoupie dans sa poussette, ronflait si fort que nous avons dû élever de quelques décibels le son de nos (douces, ah ah) voix. Je l'aime bien, cette voisine, elle est toujours souriante et avenante. Nous prenons donc l'ascenseur ensemble et elle me demande des nouvelles de mon loulou, parti chez ses grands-parents pendant que j'allais faire le zouave en Bretagne.

Je lui raconte que nous partons à Nantes, le petit échange de banalités, vous voyez bien. Sauf que, soudain, un voile passe dans le regard de ma voisine si charmante. Elle baisse d'un ton (avec, toujours, le petit train ambulant à côté de nous, ce qui rend la conversation un rien chaotique) et me confie: "nous aussi, nous allons partir. J'en peux plus, ici."

Sa fille, qui a 9 ans, je crois, la regarde un peu étonnée. Je comprends que sa maman est en train de me confier leur secret, ce truc qu'elle n'a le droit de partager avec personne. La maman poursuit... quand l'ascenseur s'arrête à mon étage. Je l'invite à s'arrêter avec moi, histoire de ne pas interrompre sa surprenante confession. Elle me suit.

Son mari la frappe. Elle l'a déjà quitté, par le passé. Et puis, pétrifiée à l'idée d'élever sa fille seule, et profondément soucieuse de fonder une vraie famille, elle lui a tout pardonné. Les coups, les insultes, le harcèlement permanent. Elle s'est mis sa famille à dos avec la naissance de sa deuxième fille (le p'tit train ambulant). Et là, alors qu'elle est rongée par la peur, qu'elle ne peut plus contrôler son mari... elle a commis ce qu'elle considère comme irréparable.

Elle me montre son ventre rond. Enceinte de cinq mois. Rien que d'en parler, elle en a la nausée. D'ailleurs, elle prend son petit gobelet et crache dedans, en s'excusant. Malade à crever, elle est perdue, vit dans l'angoisse et imagine que seule une fuite pourra les sauver, ses enfants et elle, de cette vie horrible où plus rien ne compte.

Je l'écoute, j'en ai les larmes aux yeux. Je lui demande si elle est allée voir quelqu'un. Si elle a appelé la police. Des assos. Ce que je peux faire pour elle. Un frisson me parcourt l'échine. Elle habite juste sous mon appartement et je n'ai rien entendu. Jamais rien imaginé. Et maintenant que je sais, je reste impuissante avec l'impression d'être une complice involontaire de ce barbare, parce qu'elle m'a interdit d'aller prévenir la police. Elle a trop peur qu'il ressorte, vite, et qu'il mette ses menaces de mort à exécution.

Elle m'a remerciée de l'avoir écoutée. Elle avait tellement besoin de parler, de vider son sac, elle qui ne peut rien partager avec sa propre famille. Elle m'a dit qu'elle devait y aller, là, parce qu'elle sentait qu'elle avait déjà pris trop de temps et que les reproches n'allaient pas manquer.

Je lui ai demandé de venir me voir. De ne jamais hésiter, surtout. De rester prudente et de préparer son départ comme si de rien n'était. J'ai eu envie d'aller frapper chez elle, pour savoir comment elle allait. Si elle avait encore dormi dans le salon avec ses deux filles, avec une couverture comme seule protection face à ce monstre qu'elle a cru aimer. Qu'elle a dû aimer.

Qui a dû l'aimer, lui aussi. Mais qui est atteint d'un terrible mal. Il ne boit pas, il ne fume pas mais il ne peut contrôler cette terrible violence qui le ronge et qui s'abat au quotidien sur cette femme, sur cette petite fille, toutes deux terrorisées, enchaînées, malheureuses.

Ce soir, j'entends les pleurs d'un enfant. Je ne sais pas d'où ils viennent. J'ai entendu des meubles s'entrechoquer, aussi. J'ai le ventre noué, j'ignore ce que je dois faire. Je ne voudrais pas que cette femme disparaisse sous les coups de son mari, lui qui a déjà détruit sa propre famille. Comment faire? Comment puis-je agir?

J'entends des cris. Si j'y vais, je sais la sentence qui l'attend. Mais si je n'y vais pas?

6 commentaires:

  1. Bonsoir, cette histoire est terrible, et je pense que ne pas intervenir peut se reveler dangereux, et pour cette femme et ses enfants, et pour toi la mouette question conscience.
    J'ai fais une recherche, le n° 3919 est un numero pour les femmes victimes de violence conjugale. Peut-etre d'appeler ce n° pour raconter l'histoire de cette voisine, et avoir des informations pour savoir comment proceder...C'est ce que je ferai, des infos pour un plan d'urgence si cela s'averait necessaire. Bon courage la mouette.

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  2. Merci pour le conseil, j'ai essayé dans la foulée mais le service est fermé après 22h (!). Dans la conversation, elle m'avait dit être soutenue par plusieurs organismes, dont le Conseil général, je pense qu'elle a déjà pris contact avec l'une de ses assos. Je retenterai néanmoins le coup demain, car je t'approuve totalement, ne pas intervenir peut se révéler dangereux.
    Merci pour ton message.

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  3. "Anonyme" a répondu comme je l'aurait fait - c'est terrible, entre parenthèse, ces numéros où y a plus rien après 22 h.....vous êtes priés d'être malheureux aux heures ouvrables, sinon, voyez police-secours.....ou sainte Rita !
    Chais pas, moi, il devrait exister un n° gratuit, national, 24/24, je trouve....
    c'est affreux, des choses pareilles. Aide-la du mieux que tu peux.....

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  4. Visiblement, ton récit a pris aux tripes Anne et l'anonyme autant que moi. Que dire de plus ? Fais ce que ton coeur te dicte, la Mouette.

    Thierry

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  5. Je quitte mon nom d'"anonyme" pour revenir sur le poste, trop pressée hier soir pour signer mon message, trop bousculée pour prendre le temps de me designer. Je me suis endormie hier soir en songeant à l'affiche accrochée sur le mur du cabinet médical ou je me rend avec mes enfants quand les virus attaquent. Un ours en peluche affiche un oeil au beurre noir, l'image est floue volontairement je pense, car ces choses sont souvent cachées et tabou. Un message en gros caractères dessous : "NE RIEN DIRE C'EST LAISSE FAIRE". Ta descente aux poubelles, ou plutot en enfer, t'a malgré toi fait ouvrir la boite de Pandore et ses secrets bien gardés. Je pense à toi la mouette, ce doit être lourd mais protège ton petit coeur buvar, car il appartient aussi à cette triste femme de prendre sa vie en main et de reagir. Tu viens de lui laisser ta porte ouverte et c'est déjà énorme, les belles âmes sont ainsi, et la tienne, bonne mouette, doit proteger ses ailes...surtout donc ne pas monter à l'étage armée de ton rouleau à patisserie, je tenais à te faire cette prevention, craignant par mon message d'hier soir, d'avoir réveillé le petit soldat qui semble dormir en toi.

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  6. @ Anne: j'ai pensé ça aussi, lorsque j'ai raccroché, mais après tout, à plus de 23 heures, c'est un peu logique que personne ne réponde, sachant qu'ils indiquent les numéros d'urgence, quand même... Ce sont des êtres humains à l'autre bout du fil, pas évident d'assurer un relais permanent, j'imagine.

    @ l'oiseau: je fais, je fais ce que mon coeur me dit de faire, comme d'hab ;)

    @ Babelle: Merci pour ce nouveau message, c'est certain que ton commentaire a eu un effet très positif sur moi, si, si, même si la nuit a été courte... Le petit soldat a bien été réveillé!! Je raconte ça tout à l'heure. En tout cas, merci pour tes interventions, chère Babelle!

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