mercredi 13 octobre 2010

Ma voisine, partie 2

Après de trop nombreuses heures de retranscription, je tombais de sommeil hier soir, luttant pour... finir la cuisson d'une tarte au citron meringuée, avant d'aller me reposer quelques heures. Il était deux heures du matin, de fait. Et pourtant, une fois couchée, j'ai eu du mal à m'assoupir. L'estomac noué, je songeais à ma voisine, juste sous moi. Que s'était-il passé, ce soir encore? Etait-ce juste mon imagination, ou bien le bourreau avait-il encore frappé?

Premier geste, ce matin, j'ai appelé le 3919. Pour savoir ce que je pouvais bien faire, comment je pouvais agir sans craindre qu'il mette ses menaces à exécution. La personne au bout du fil m'a expliqué que le mieux était de prévenir la police si j'entendais des cris. Et surtout, de convaincre la victime d'appeler leur service, pour les sauver, ses filles et elle, des griffes de leur geôlier.

Ma voisine m'avait prévenue que son mari était capable, même en étant parti bosser, de revenir à tout moment, histoire de la surveiller. Un coup d'oeil circulaire à mon salon, totalement envahi par les cartons... ça y est, j'avais le prétexte., au cas où je tombais sur lui. Un jeu. Une pêche à la ligne en tissu que je lui offrirai parce qu'elle attend un "heureux" (hum) événement et que, déménageant moi-même, blablabla. J'avais préparé mon speech, afin qu'il ne se doute de rien, au cas où.

Je me suis dirigée à pas de loup vers leur porte, à l'affût d'une éventuelle voix masculine. Rien. J'ai sonné, elle a attendu avant de répondre, finissant par demander qui était là. Elle m'a ouvert la porte, ou plutôt, a faufilé sa tête fatiguée entre le mur et la porte, comme si elle était enchaînée à l'appartement. Drôle de sensation, l'impression d'introduire un lieu barricadé.

Elle m'a confirmé que mon imagination n'y était pour rien, la veille au soir. Avant de chuchoter: "Je viens vous voir. Il risque de revenir d'un moment à l'autre. J'arrive!" Je lui ai donné le jouet, en me disant que je venais de griller un joker pour la prochaine fois. Mais son sourire m'a consolée aussitôt.

Elle n'est pas venue. Enfin, pas tout de suite. De fait, il a surgi quelques minutes après, pour voir si, à tout hasard, elle n'avait pas touché à une valise. Il se méfie, il n'est pas fou. Elle est donc arrivée, près d'une heure après, avec ses filles. Je leur ai proposé de s'installer, elles se sont posées, muettes et immobiles, du bout des fesses sur le canapé et ont siroté leur jus d'orange sans discontinuer, le p'tit train étant décidément très bruyant dans toutes ses activités.

Ma voisine a parlé, parlé, parlé. Je lui ai conseillé d'appeler le 3919, et je pense qu'elle va le faire. D'ores et déjà, elle a pris les choses en main et, si tout va bien, devrait rejoindre un foyer, peut-être dès la fin de semaine. Elle ne peut plus tolérer l'intolérable. Ne peut plus vivre dans la terreur.

Elle m'a raconté qu'elle aimerait qu'un voisin appelle la police pour signaler la violence de son mari, elle qui craignait tant, trois jours plus tôt, que je le fasse, par crainte des représailles. Mais quelque chose a changé en elle, je l'ai sentie plus déterminée, moins dans la résignation, prête à quitter, enfin, ce malade qui lui rend la vie impossible. Qui a ri, devant le reportage d'un homme qui avait tué ses trois enfants, parce que sa femme voulait le quitter. Et qui a commenté en disant que toutes les femmes devraient être traitées ainsi.

Qu'il tuerait ses filles, rien que pour la faire souffrir.

Je lui ai dit que j'appellerais la police si j'entends du bruit. J'ai lu la gratitude dans son regard éteint. Elle a touché son turban, l'a remis en place, s'est tue. Sans aucune pudeur, mais avec beaucoup d'émotion, elle m'a confiée avoir songé à une IVG pour ce bébé qui la rend malade et l'oblige à sortir un gobelet toutes les deux minutes pour cracher dedans. A 5 mois de grossesse, elle sait que c'est trop tard. Je n'ose imaginer le destin de cet enfant non désiré, venu malgré une contraception et qui arrive dans un contexte terrible... Pourtant, elle ne se résout pas à le placer. Après tout, n'a-t-elle pas gardé ses deux filles, nées dans pareilles circonstances?

J'ai regardé les deux enfants, si mignonnes, si tristes. Je ne sais pas ce qu'elles vont devenir, comment elles vont lutter contre cette culpabilité qui les a envahies depuis bien longtemps déjà, persuadées, peut-être inconsciemment, qu'elles méritent le traitement qu'elles reçoivent. Pourtant, à voir la colère reprendre le dessus sur ma voisine, j'ai eu l'espoir qu'elle allait s'en sortir. Qu'elles allaient s'en sortir.

J'ai songé que, en quelques minutes, je savais tout de la vie et des souffrances de cette femme. Et que, ironie du sort, je ne connaissais même pas son prénom.

Et j'ai songé à ce que m'avait rappelé la femme, à l'autre bout du fil: en France, une femme meurt sous les coups de son compagnon tous les deux jours et demi.

3 commentaires:

  1. Je ne sais trop que dire si ce n'est que j'ai honte parfois d'être un homme. Tu fais bien de prendre l'affaire en main, la Mouette.
    Thierry

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  2. Quelle avancée en si peu de temps...J'espère que ta voisine restera aussi déterminée, qu'elle partira vite, et que, ironie du sort, si tu trouves dans tes cartons un paquet de kleneex, tu l'offriras à son "pauvre" mari, que tu ne manqueras pas de croiser après la fuite de cendrillon. Bravo la Mouette !

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  3. Ces mecs-là, je ne sais pas ce que je serais capable de leur faire ; tout en me demandant (bin, si, je suis assez idiote pour ça.....) ce qui a pu en faire "ça" et comment faire pour les changer ?
    J'espère qu'elle va se barrer. Qu'elle va s'en sortir. Qu'il sera mis hors d'état de nuire. Appelle la police, surtout, si ça recommence, n'hésite pas ! ton silence, selon la loi, qui plus est te rendrait complice. Il faut qu'il soit mis en face de la Loi, ce bourreau frapadingue.

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