mardi 8 décembre 2009

What a feeling

La journée a démarré bizarrement. Déjà, réveillée bien trop tôt par un réveil geignard, je me suis cognée à la porte de ma chambre.

Léger moment de solitude.

En fait, j'aurais voulu rester dans le brouillard, histoire de ne penser à rien. Et surtout pas à l'échéance qui m'attendait. Eh oui, c'était le grand jour. Celui de la commission. A quoi bon se rendre malade, mieux valait faire comme si de rien n'était. Comme si tout l'avenir de ma boîte ne dépendait pas de cette présentation.

Je suis allée me défouler au basket, ai discuté avec un ami sur un dernier recours, qui ferait contrepoids face à l'obstacle bancaire. J'étais un peu barbouillée mais enfin, ça allait.

Je me suis préparée tranquillement, ai vidé mon cartable des cartes de visite des banquiers-tueurs, relu mon dossier. J'avais décidé que je resterai positive, vaille que vaille.

En traversant la gare, pour rejoindre le lieu du rendez-vous, j'ai croisé des costards-cravate, des jeunes étudiants, une maman, un garçon physiquement intelligent... Un tourbillon pour me faire oublier que j'allais direct à l'échafaud. J'écoutais Charlie Winston, encore lui, chanter "in your hands". Et il avait bien raison, ce bon Charlie. Mon sort était entre mes mains.

Enfin, presque.

Après un peu d'attente, la rencontre avec mon expert-comptable d'un jour - commis d'office par le cabinet, le pauvre- et une discussion avec la fronceuse de sourcils, il était temps de rentrer dans l'arène.

Sur Facebook, j'avais anticipé ce moment, me prenant pour Jennifer Beals devant son comité austère, dans Flashdance. Enfin, juste le moment où elle se pointe devant le jury, qui tire une tronche de dix mètres de long, avant de se rétamer.

Dans la vraie vie, je me suis retrouvée face à une quinzaine de visages, masculins en très, très grande majorité (une seule femme), pas du tout-jeune, hein. Installés sur une table en U, mon dossier devant eux, prêts au sacrifice. Ils se sont présentés les uns après les autres, j'ai compris qu'il y avait quand même beaucoup de banquiers - les plus hostiles, je l'imaginais déjà. Mais aussi des chefs d'entreprise, un avocat, un juriste, un expert-comptable... Tout le tralala. Et deux visages familiers, un ami et l'un des formateurs de l'AFPA, avec qui j'ai travaillé trois mois.

"Nous vous écoutons."

J'ai exposé mon projet, tremblant de toute mon âme, sentant le rouge me monter aux joues. Tant de regards tournés vers soi, ça impressionne. J'ai surtout parlé de mon affaire, peu de moi et au bout d'une vingtaine de minutes, l'interrogatoire pouvait commencer.

Impassible, l'un me demande: "Vous êtes une maman. Célibataire, qui plus est. Comment comptez-vous gérer l'organisation qu'un tel modèle familial suppose?"

Un autre: "Quand même, ça fait pas beaucoup de salaire, ça."

A sa droite: "Mais vous ne voudriez pas plutôt créer une association, pour tisser ce lien social qui semble tant vous tenir à coeur?"

L'autre, narquois: "OK, vous avez fait trois jours en cuisine, mais qu'est-ce qui vous fait dire que vous allez tenir le rythme sur du long terme?"

Sans doute frustré que je lui réponde, il enchaîne:

"Savez-vous vous remettre en cause?"

Là, je n'ai pu résister ; "Et vous, pensez-vous qu'une journaliste qui se reconvertit dans la restauration est capable de se remettre en cause?"

Il l'avait pas volée, celle-là. Le formateur de l'AFPA m'a fait un clin d'oeil, amusé de la répartie.

J'avais tellement anticipé toutes les questions que les réponses fusaient naturellement. Je n'ai pas bafouillé, et j'ai défendu mon bébé jusqu'au bout. Un moment, on nous a priés de sortir, l'expert-comptable et moi, dans une petite pièce. Le jury allait délibérer.

Ça n'en finissait plus. Finalement, 45 minutes plus tard, nous avons été rappelés. Je ne me faisais pas d'illusion.

"A la majorité, c'est non", m'a asséné le directeur de la séance. "Mais."

Mais?

"Mais, compte tenu du débat que votre dossier a suscité, nous vous proposons de créer un groupe de travail pour vous permettre d'affiner quelques points, afin de présenter de nouveau votre projet à ce même comité, dans quelques temps."

En gros, j'ai réussi l'examen de passage et donc... on me refuse les prêts d'honneur. Cherchez pas, y'a rien à comprendre. Enfin, si, mais ce sont toujours les mêmes arguments, toujours ce même formalisme qui impose à un être de demeurer ce qu'il a été toute sa vie (professionnelle) durant.

Entre autres, on me demande donc d'aller parfaire ma formation en cuisine. Pour le reste, le dossier a visiblement séduit, étant jugé innovant. Pourquoi le cacher? Cela m'a rendue fière, même si cela ne change rien à l'affaire. Petite consolation...

Il y a eu un petit cocktail, pendant lequel j'avais le loisir d'échanger avec les jurés. Les banquiers m'ont évitée - et je sais par une petite souris que ce sont eux qui se sont opposés au projet, quelle surprise, n'est-ce pas - et ça m'allait très bien. La fronceuse de sourcils est remontée dans mon estime et m'a conseillée de poursuivre l'aventure, contre toute attente.

Mais celui qui m'a le plus touchée, c'est ce monsieur qui est simplement venu me dire: "Le contexte est tel que l'on ne veut pas vous envoyer au casse-pipe. Mais n'abandonnez pas, vous avez l'âme d'un entrepreneur, vous y arriverez. Vous avez la personnalité pour. "

Ça ne mangeait pas de pain, bien sûr, mais cela m'a encouragée. Aujourd'hui, je ne peux qu'espérer, me donner encore une ultime chance de rebondir avec un projet remanié. Je n'ai pas encore réussi le grand écart, mais enfin, la chute n'est pas si rude que je le craignais.

Une histoire de carapace, j'imagine.

9 commentaires:

  1. De carapace, peut-être, oui. De maturité, aussi. Tu savais où tu mettais les pieds : dans un marécage rempli de frilosité, où être une femme est déja disqualifiant en soi, mais seule et mère, un handicap.
    Le truc à retenir c'est que ton projet plaît - fais gaffe à pas te le faire piquer - et t'as pas encore fait le tour de toutes les solutions de financement, enfin, tu n'as fait que les "habituelles", tu sais, les "capital-risqueurs" ( je françise), ça existe....le pognon, si tu peux pas le dégoter d'un bloc, esaie de le trouver par morceaux ? fais-toi sponsoriser ? repenses à tout ce qui a volé ici et là comme idées, ne te mets pas d'oeillères....les choses peuvent très bien, au final, ne pas correspondre tout à fait à l'idée de base, et aboutir néanmoins à du concret, tu sais ?
    On est tous avec toi, de toute façon....on n'a que nos neurones, pour l'instant, et notre intérêt qui ne se dément pas. Mais nous sommes là.....du mieux possible...alors souffle si tu dois le faire et repars !

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  2. Complètement d'accord avec Anne!
    Go, go go!
    PP

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  3. D'accord avec Anne aussi. Et ce que tu dois retenir, c'est que ce n'est pas complètement négatif. Et surtout profites de ce groupe de travail, c'est une chance.

    Bises
    L'oiseau

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  4. tu n'as pas le choix, il faut rebondir steph, c'est surtout pas le moment de craquer et je sais que c'est tentant..... bisous

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  5. Je suis soufflée par cette proposition, qui me semble riche d'espoirs : d'habitude c'est oui ou non, et rien au milieu, toi tu as réussi à faire bouillonner les habitudes, à déplacer les repères, c'est décoiffant. C'est vrai que c'est le casse-pipe là dehors pour les jeunes entreprises, alors qu'on t'offre un espace pour te préparer à l'affronter avec des armes supplémentaires, après tout... Enfin j'imagine bien que ça remet en cause ton timing et que ça soulève des problèmes que tu n'avais pas imaginés, mais comme le dit Anne un peu plus tôt, tu as du soutien et ça compte ! Je t'embrasse

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  6. Je ne peux qu'abonder dans le même sens que ce qui t'a été dit plus haut... courage ;-)

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  7. Pour les minettes, je t'ai fait réponse sous "j'ai pas sommeil"....bises !

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  8. @ tous: je suis soufflée, moi, de lire vos encouragements, vous pouvez pas savoir le bien que ça peut procurer! Merci.

    @ Anne: l'appartement peut-il supporter une minette? Disons que, d'un point de vue bassement matériel, j'ai un canapé en tissu auquel je tiens, et de façon pragmatique, surtout, un loustic de 6 ans qui s'agite beaucoup, ce qui a tendance à effrayer les chats, en général... Cela dit, depuis que je suis allée au Café Clochette - et depuis la disparition de ma Zoé, je dois l'avouer - j'ai tellement envie d'avoir de nouveau une boule de poils! Mais est-ce bien raisonnable? Pff... Je sais pas, je sais plus!

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  9. Est-ce que vous savez de quoi vous parlez ! Vous en connaissez des capitaux risqueurs ? Et qui en investissent dans la restauration ? Surtout en ce moment, ces gens là ils attendent un retour sur investissement au bout de 3 ans avec un taux de rentabilité à deux chiffres. Dans la restauration traditionnelle, c'est vraiment pas la période ... Redonner le moral, cela ne suffit pas à faire tourner une affaire ...

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